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  • Photo du rédacteurMarilou Benzoni

Copistes, créatrices : la copie comme support de création

Envisager la copie comme une reproduction stricte de l’original, dont l’objectif serait la ressemblance parfaite jusqu’à la confusion, à l’instar de la démarche qui préside à la photographie documentaire, constitue une idée reçue pour le moins répandue.


Pourtant, force est de constater que la copie trahit parfois sa fidélité au modèle pour s’aventurer vers le domaine de l’imagination : le geste de copier devient alors affaire de création, opérant des variations et détournements, prenant toutes les libertés. La limite entre copie et œuvre nouvelle se floute alors.


La copie peut en effet constituer un moyen par lequel l’artiste se découvre, expérimente, et peut devenir le lieu d’expression d’une créativité personnelle. Cette démarche inventive au sein de l’acte de copier procède de différents degrés, allant de ce que nous qualifierons de variations par rapport au modèle - changement de cadrage, choix d’un détail, transposition dans un autre format ou une autre technique – à une véritable appropriation du sujet ou motif copié, qui est transcrit dans le style propre de l’artiste-copiste – ce dernier opérant une modification des couleurs, du trait, de la touche. Enfin, le détournement du modèle copié ou son inclusion dans une nouvelle œuvre – dans une perspective critique et parodique ou simplement pour citer ou rendre hommage – constituent un degré de création encore davantage radical, dépassant l’acte traditionnel de copier pour s’aventurer sur le terrain du jeu, de la référence, du clin d’œil.


La copie comme variation


Envisageons tout d’abord les variations qu’opèrent les copistes vis-à-vis de l’œuvre copiée. Une copie, même lorsqu’elle cherche à rester proche du modèle original, est rarement une transcription textuelle : il s’agit souvent de transposer dans un format donné selon une technique donnée, de choisir un détail, un angle de vue, un éclairage. Le ou la copiste est souvent amené.e à simplifier ou éliminer des éléments en fonction de l’échelle ou du médium choisi. Ces variations induisent ainsi des modifications esthétiques.


La transposition du modèle dans une technique autre que celle de l’original constitue une variation fréquemment opérée. Au XIXe siècle, il s’agit dans un grand nombre de cas de transposer un modèle réalisé sur un support pictural dans une technique art graphique : ainsi, la gravure d’interprétation constitue un exercice à part entière pour les artistes-copistes de cette période, tout comme la copie sur porcelaine. Au-delà de la démonstration d’une maîtrise voire d’une virtuosité technique, cette démarche entraîne un changement d’ordre esthétique. Prenons pour exemple La leçon de lecture réalisée par Gabrielle Poynot (fig. 1) d’après Gerard ter Borch (fig. 2) : l’original – une huile sur bois – est transposé par Poynot sur le support de l’estampe au moyen d’une technique de gravure. Le médium de l’estampe entraîne ici un changement d’esthétique notable par rapport à l’original, dont les couleurs s’effacent au profit du noir et blanc et dont la finesse des traits et les jeux d’ombres et de lumière varient – ce phénomène étant particulièrement visible dans le rendu de la chevelure des personnages.

La transposition du modèle dans un autre format est également un exercice courant pour les copistes. Nous pourrions citer par exemple les copies de La Joconde et de La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne de Léonard de Vinci réalisées par Clémentine Pépin sous forme de miniatures (fig. 3 et 4). Tout comme la variation de support et de technique, la variation de format permet la réalisation d’une prouesse technique, et donne une autre dimension par rapport à l’original – par exemple, l’exécution des détails ne peut jamais être la même entre un grand format et une miniature.




Enfin, copier consiste bien souvent pour le ou la copiste à choisir un détail du modèle, à ajuster le cadrage à sa guise, sélectionnant un morceau précis du tableau contenant les éléments à partir desquels il ou elle souhaite s’exercer. Ainsi, lorsqu’elle copie Les forges de Vulcain de François Boucher (fig. 6), Berthe Morisot (fig. 5) choisit de s’intéresser uniquement aux deux figures féminines flottant au-dessus de la scène principale, dans la partie droite du tableau.



La copie comme appropriation


Plus que transposée ou « segmentée » par l’artiste-copiste, l’œuvre originale peut faire l’objet d’une véritable appropriation de sa part : il ou elle s’en sert alors comme d’un support mental qui sera modelé selon son propre style et sa propre imagination.


Reprenons l’exemple des Forges de Vulcain copiées par Berthe Morisot pour illustrer dans quelle mesure une copie peut se traduire par la reprise du sujet copié dans le style propre de l’artiste-copiste. Bien qu’exécutée dans la même technique que l’original – la peinture à l'huile – cette copie s’écarte du modèle en prenant de grandes libertés stylistiques : on remarque ainsi l’usage de couleurs chatoyantes apprécié par Morisot, ainsi que l’épaisseur et la visibilité de la touche mais également l’imprécision du trait caractéristiques de la peinture impressionniste.


Nous pouvons également noter que Morisot choisit ici de reproduire deux colombes entrelacées en bas à droite des deux figures, en les isolant complètement des angelots auxquels elles sont rattachées dans la peinture originale : cet élément nous amène à considérer une autre forme d’appropriation, qui consiste pour l’artiste-copiste à supprimer ou au contraire à ajouter des éléments par rapport au modèle, réimaginant ainsi le motif original. De plus, certains éléments du modèle copié, bien que repris, peuvent faire l’objet d’une réinvention partielle ou totale : ainsi, dans sa copie (fig. 7) d’une Vierge à l’Enfant d’après Sassoferrato (fig. 8), Marie-Madeleine Roberti remodèle complètement le visage des deux figures enfantines angéliques surgissant des angles supérieurs de la toile, changeant la couleur et la texture de leur cheveux, la position de leur visage, repliant les ailes de la figure de droite. Ces exemples témoignent de la liberté que peut prendre l’artiste-copiste par rapport à son modèle, opérant des changements dans le contenu iconographique comme dans le style, apposant sa marque en interprétant l’original, le transformant ainsi considérablement.



La copie comme transgression


Si les artistes-copistes du XIXe siècle prennent des libertés vis-à-vis du modèle, insérant une dimension créative dans l’acte de copier, cette époque se caractérise néanmoins par un consensus sur l’admiration des maîtres : la copie demeure donc dans une large mesure imitative, insistant sur la continuité et la filiation, le lien des valeurs entre passé et présent. Le XXe siècle se caractérise au contraire par la rupture radicale : après 1918 débute une ère d’insolence et de jeu - Bernard Caysson parle ainsi de l’époque de la « copie destructive » (1973) (1). Les références aux œuvres du passé se font alors de plus en plus nombreuses et distantes : les copies ignorent souvent délibérément le style des artistes, et jouent de tous les décalages. Les tableaux deviennent des images que les artistes déforment ou décontextualisent, dans une démarche qui peut être dérisoire et parodique, ou bien simplement citationnelle. Il est intéressant de noter que ces copies transgressives portent souvent un autre titre que celui de l’original : le domaine de la copie est ainsi en quelque sorte dépassé pour laisser place à celui de la création pure.


Le modèle copié peut tout d’abord faire l’objet d’un détournement ou d’une déformation : nous pourrions citer ici les copies du Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet ou encore des Femmes d’Alger d’Eugène Delacroix exécutées par Pablo Picasso, dans lesquelles Picasso transpose dans un style respectivement naïf et cubiste les deux tableaux, déformant les corps pour mettre en avant la dimension charnelle et scandaleuse des scènes représentées. Il procède de la même démarche dans sa copie de l’Olympia d’Édouard Manet, dans laquelle la femme noire devient la figure allongée, tandis que deux figures masculines sont incorporées à la scène pour créer une dimension voyeuriste. Cette œuvre de Manet fait l’objet de nombreux détournements au XXe siècle, à l’instar des copies d’Aimé Mpane ou de Larry Rivers qui jouent d’une inversion des rôles entre la femme noire et la femme blanche.

L’acte de décontextualiser l’œuvre originale pour l’inclure au sein d’une nouvelle création constitue également un mode de copie transgressif. Dans cet acte de citation, l’œuvre fidèlement copiée, ou une photographie qui en tient lieu, se trouve mise en situation et dépaysée. La copie prend ainsi toutes ses distances avec l’œuvre originale, en la mettant en scène au sein d’une composition elle-même originale, une œuvre à part entière. Cette pratique n’est pas des plus récentes : nous pourrions citer par exemple les trois versions de la Galerie de vues de la Rome antique (fig. 9) réalisées par Giovanni Paolo Panini au XVIIIe siècle, consistant en une juxtaposition de copies d’œuvres romaines antiques et d’une collection de tableaux imaginaires, réunies fictivement au sein d’un même espace. Cette pratique connaît cependant un regain d’intérêt au XXe siècle : nous pourrions ainsi citer l’œuvre d’Audrey Flack, Leonardo’s Lady de 1974, dans laquelle l’artiste met en scène au sein d’une peinture une copie de la Belle ferronnière de De Vinci au milieu d’une accumulation d’objets hétéroclites.

Enfin, la technique photographique a pu être utilisée par les artistes dès la fin du XIXe siècle dans la perspective de créer une composition incluant une copie. La copie est ainsi elle-même reproduite au sein d’une nouvelle œuvre, mettant en abîme les notions de copie et de reproduction : nous pourrions ici citer la Composition à la Vénus de Milo réalisée par Hippolyte Bayard (fig. 10) d’après un moulage de l’œuvre, ou encore la nature morte de Paul Outerbridge de 1926 comprenant une statuette d’après la Source d’Ingres.



Ainsi la copie, davantage qu’une imitation stricte, constitue une proposition issue d’un regard sur d’autres œuvres. Les copies sont de natures très diverses, tout comme les démarches qui président à leur création. Le résultat de la copie dépend du rapport que l’artiste entretient avec les modèles qu’il ou elle intègre, assimile mais aussi transforme, exploite ou détourne. Copier est donc un acte éminemment créatif, l’œuvre du passé étant souvent intimement liée à la démarche de l’artiste et à son identité artistique propre.





Marilou Benzoni


Notes


(1) CUZIN Jean-Pierre (dir.), Copier créer : de Turner à Picasso, 300 œuvres inspirées par les maîtres du Louvre, cat. expo., Paris, Musée du Louvre (26 avril 1993 – 26 juillet 1993), Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p.332.



Bibliographie


CUZIN Jean-Pierre (dir.), Copier créer : de Turner à Picasso, 300 œuvres inspirées par les maîtres du Louvre, cat. expo., Paris, Musée du Louvre (26 avril 1993 – 26 juillet 1993), Paris, Réunion des musées nationaux, 1993.


DEBRAY Cécile (dir.), Le modèle noir : de Géricault à Matisse, cat. expo., Paris, Musée d’Orsay (26 mars 2019 – 21 juillet 2019), Paris, coédition Musées d'Orsay et de l’Orangerie / Flammarion, 2019.



Webographie














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