top of page
Photo du rédacteurLudivine Fortier

La copie "sur estampe"

La gravure d'interprétation et les femmes artistes


La gravure d’interprétation désigne la copie d’une œuvre d’art en gravure. Des femmes artistes pratiquèrent également ce genre de copie. Ce fut soit une étape pour s’insérer dans le monde très masculin de la gravure, soit un moyen de faire carrière. Certaines artistes s’y sont ainsi illustrées, sans pour autant rester gravées dans l’histoire…


La gravure d’interprétation : copier et imprimer


La gravure de reproduction, ou plutôt d’interprétation, peut être considérée comme une sorte de copie. En effet, il s’agit de transcrire, transposer une œuvre d’art (souvent une peinture ou un dessin) en gravure. L'oeuvre est reproduite dans une autre technique. La gravure peut ensuite être imprimée en plusieurs exemplaires.


Pourquoi graver des tableaux ?


Nous pouvons retenir deux objectifs :

- Apprendre à graver d’après des œuvres existantes

- Reproduire et diffuser les œuvres les “plus importantes”, par exemple dans les journaux et les livres (avant d’être concurrencé par la photographie).


Interpréter, adapter : une nouvelle œuvre ?


La gravure n’est pas une photographie de l’œuvre originale : la main du graveur intervient pour copier l’œuvre sur une matrice (bois, cuivre ou pierre) pour ensuite l’imprimer. L’œuvre est alors forcément interprétée par le graveur qui doit effectuer des changements : de format et surtout de couleurs. Le graveur doit transposer une œuvre colorée en impression noir et blanc. Blanche Derousse fut particulièrement confrontée à cette difficulté dans ses estampes d'après Vincent van Gogh ou encore Norbert Goeneutte (fig. 1).


Ce portrait du docteur Gachet le représente les bras sur une table de travail, où sont posés des lunettes, un livre et divers instruments.
Fig. 1. Blanche Derousse, d’après Norbert Goeneutte, Portrait de Paul Ferdinand Gachet, vers 1901, pointe sèche, Londres, Wellcome Historical Medical Museum (© Wellcome Collection)
Le docteur Gachet est représenté à sa table de travail, mains croisées.
Fig. 1bis. Norbert Goeneutte, Le docteur Paul Gachet, 1891, huile sur bois, 35 x 26,7 cm, Paris, musée d’Orsay, RF 757, don du docteur Gachet en 1892 (Source de l'image : Wikimedia commons)

Une stratégie artistique dans un milieu masculin ?


La gravure d’interprétation n’est pas majoritairement pratiquée par des femmes, bien qu’on les trouve davantage dans cette discipline que dans l’estampe originale. Les graveurs les plus reconnus dans ce domaine restent des hommes, comme Alphonse Leroy. Certaines femmes s’y étaient pourtant illustrées avant le XIXe siècle, comme Marie-Adélaïde Boizor.

“Jouer” avec les préjugés sur les femmes artistes


La gravure d’interprétation peut néanmoins permettre aux femmes de s’insérer avec prudence dans cet art “technique”. En effet, la reproduction était vue comme une qualité “féminine”, alors que certains auteurs opposaient femme et créativité. Graver d’après les “maîtres” peut permettre à la graveuse de montrer ses qualités techniques, et ainsi de s’intégrer progressivement dans les milieux artistiques. Ainsi, la gravure d’interprétation se fait souvent en parallèle de la gravure originale. Louise Danse en est un bon exemple (fig. 2).

Dans un atelier d'artiste, l'artiste est assis et regarde une femme qui est le modèle et qui pose en longue robe.
Fig. 2. Louise Danse, d’après Alfred Stevens, Dans l’atelier, [s. d.], eau-forte, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, S.II 113335 (Source de l’image : Wikimedia commons)
Dans un atelier d'artiste, l'artiste est assis et regarde une femme qui est le modèle et qui pose en longue robe.
Fig. 2bis. Alfred Stevens, L’atelier, 1869, huile sur bois, 94 x 71 cm, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Source de l’image : Wikimedia commons)


Faire carrière dans la gravure d’interprétation ?


Rares sont les femmes à mener une carrière dans l’estampe au XIXe siècle. Toutefois, l’examen des graveurs ayant reçu des commandes de gravure par l’Etat pour la Chalcographie du Louvre a permis de redécouvrir la figure de Gabrielle Poynot. La Chalcographie du Louvre commandait alors des estampes d’après les chefs-d’œuvre de peinture du musée du Louvre : en 1888, elle achète la plaque gravée de Gabrielle Poynot d’après Léonard de Vinci, Portrait de femme, dite La Belle Ferronnière (fig. 3). Recevoir une commande de la sorte était le signe d’une reconnaissance de son talent. Cette artiste a par ailleurs réalisé et exposé de nombreuses gravures d’interprétation. En 1889, elle reçoit même une médaille au Salon.

Portrait d'une femme de la Renaissance en buste.
Fig. 3. Gabrielle Poynot, d'après Léonard de Vinci, Portrait de femme, dite "La Belle Ferronnière", eau-forte et burin, 76 × 56 cm (dimensions de la feuille), Saint-Denis, ateliers d'art des musées nationaux, moulage et chalcographie (Photo (C) RMN-Grand Palais / image RMN-GP)
Portrait d'une femme de la Renaissance en buste.
Fig. 3bis. Léonard de Vinci, Portrait de femme, dit La Belle Ferronnière, huile sur panneau, vers 1495 - 1499, 63 x 45 cm, Paris, musée du Louvre (Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado)


Des femmes non gravées dans l’histoire : comment les retrouver ?


Les graveuses d’interprétation ont souffert d’un double inconvénient : être des femmes dans un milieu masculin, mais aussi pratiquer un art qui fut progressivement dévalorisé au profit de l’estampe originale à partir de la fin du XIXe siècle.

Largement oubliées dans l’histoire de l’art, il est toujours possible d’en retrouver la trace, par l’observation des catalogues de salons et d’expositions, par exemple. La base Salons permet ainsi de faire émerger quelques figures féminines qui se démarquent par leurs nombreux envois d’estampes d’interprétation : Mlle Clémentine Berger, Mlle Eugénie Chevallier, ou encore Mlle Hélène Formstecher.



Ludivine Fortier




Sources et bibliographie


D’après les maîtres : Léonard de Vinci, Raphaël, Watteau, Goya, Courbet… La gravure d’interprétation d’Alphonse Leroy (1820 – 1902) à Omer Bouchery (1882-1962), (cat.exp. Lille, Musée de l’Hospice Comtesse, 17 février – 30 avril 2007), Roubaix, Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2007.


FAUCHEREAU Lise, ROUILLARD Philippe, et PREAUD Maxime, Graver d'après : la gravure d'interprétation du XVIe au XXIe siècle, Issoudun, Musée de l'hospice Saint-Roch, 2004.


FOUCHER ZARMANIAN Charlotte, “Aux femmes surtout la gravure”, Nouvelles de l’estampe, n°249, 2014, p.40-52.


Base Salon, Musée d’Orsay, en ligne : http://salons.musee-orsay.fr/

291 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page