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  • Photo du rédacteurAleksandra Kovacevic

Savoir copier avant de créer : la copie, fondement de l'enseignement artistique

Au XIXe siècle, la copie est au cœur de l’enseignement artistique de tout artiste, hommes et femmes confondus. Elle constitue la « première étape de la formation artistique dans la tradition de l’enseignement académique » (1) permettant aux jeunes artistes de s'approprier les qualités des œuvres des maîtres anciens. N’étant pas admises à l’Ecole des Beaux-Arts, les femmes se forment en grande partie en dehors des circuits officiels : au sein de la famille, si elles ont l’opportunité d’appartenir à une parentèle d’artistes, grâce à des cours particuliers, pour les femmes issues de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie, puis progressivement dans les ateliers privés.


La copie dans l’apprentissage académique : un but pédagogique


Au tournant du XIXe siècle, la formation artistique féminine connaît une véritable évolution : de nombreux ateliers privés se développent à Paris sur le modèle de celui de David, comportant quasiment tous une section féminine, phénomène qui s’amplifie ensuite tout particulièrement dans la seconde moitié du siècle. L’accès des femmes à l’Ecole des Beaux-Arts n’étant effective qu’à partir de 1897, ces ateliers « jouent un rôle crucial dans la conquête de leur droit à la formation artistique » (2) et dans leur professionnalisation. En leur permettant à la fois de s'approprier les normes artistiques, les savoirs techniques et d’intégrer un lieu de socialisation dans le monde de l’art, ils deviennent en effet pour les femmes une alternative de qualité à l’enseignement officiel pour consolider leur apprentissage et parfaire leur éducation artistique. Parmi les ateliers les plus recherchés, celui de Léon Cogniet est alors l’un des plus réputés. Créé en 1834, impasse Sainte-Opportune, par l’artiste Léon Cogniet avec le concours de sa sœur, Marie-Amélie Cogniet, son atelier dispense un enseignement principalement fondé sur la copie. L’oeuvre de Caroline Thévenin, L’Atelier de jeunes filles (fig. 1) en témoigne : copie du tableau du maître, La Nymphe chasseresse (à l’arrière-plan), copie d’antiques et copie d’après des gravures (au première plan) rythment le fonctionnement de l’atelier. La copie offre ainsi la possibilité à tout artiste de se familiariser et d’appréhender les œuvres en travaillant à partir de différents médiums dans une logique pédagogique (fig. 2). Sous le Second Empire, de nombreuses femmes copistes, dont Zoé-Laure de Châtillon et Amélie Léonie Fayolle, bénéficient de cet enseignement incontournable.


Des jeunes femmes en tenue élagante travaillent dans un atelier de peinture. Au premier plan, deux d'entre elles ouvrent un portefeuille dans lequel se trouve des gravures. A l'arrière plan, une femme copie d'après une peinture de son maître.
Fig. 1. Catherine-Caroline COGNIET née THEVENIN, Atelier de jeunes filles, 1836, huile sur toile, Orléans, musée des Beaux-Arts (photo © François Lauginie).
Des jeunes femmes en tenue élégante travaillent dans un atelier de peinture à partir de gravures et d'oeuvres.
Fig. 2. Attribué à Catherine-Caroline COGNIET née THEVENIN, Intérieur d'un atelier de jeunes filles, 1836, huile sur toile, Orléans, musée des Beaux-Arts (photo © François Lauginie).

Accéder au modèle nu : un enjeu majeur dans la formation artistique des femmes


Si copier d’après des gravures, des sculptures antiques ou des tableaux du maître d’atelier est une pratique commune aux artistes femmes et hommes, la copie d’après le modèle nu, dernière étape de la formation, demeure le point majeur de l’inégalité entre les sexes dans l’enseignement artistique traditionnel. Accéder au nu reste en effet un objet de conquête pour les femmes. Considérée alors comme une pratique indécente, l’étude du nu, notamment masculin, n’avait pas encore droit de cité dans les ateliers féminins. Dans l’Atelier d’Abel de Pujol (fig. 3), au début du XIXe siècle, le recours au modèle vivant est bien présent : des jeunes femmes apprenties s’exercent à copier d’après nature un modèle féminin habillé. Néanmoins, le modèle nu ne semble pas être en vigueur : seule une ronde-bosse d’un nu masculin posé sur l’étagère, à l’abri des regards, reste pudiquement tournée contre le mur.


Privées de l’étude anatomique, les femmes artistes ne peuvent prétendre accéder au « grand genre » qu’incarnait la peinture d’histoire, car elle nécessite une maîtrise parfaite en matière de perspective et d’anatomie, notamment dans la réalisation des figures : dans le système académique, pour représenter une figure habillée, il fallait d’abord savoir la peindre nue. Cette situation explique, entre autres, la forte présence des femmes dans les genres mineurs (portrait, scène de genre, nature morte). Néanmoins, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’Académie Julian, du nom de son fondateur Rodolphe Julian, joue à ce titre un rôle central par l’approche avant-gardiste de son enseignement. Conscient que « les femmes n'ont eu aucune des opportunités que chaque artiste masculin revendique comme son droit » (3), dès la création de son atelier, en 1865, cet artiste est le premier à « admettre les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes » (4) : l’éducation est mixte et propose l’étude du nu aux jeunes filles. Toutefois, afin d’être davantage en conformité avec les besoins des familles bourgeoises, réticentes au mélange des sexes, Julian décide de créer en 1875 une classe spécialement dédiée aux filles. L’Académie Julian (fig. 4) de Marie Bashkirtseff, une des élèves de Julian, est un témoignage exemplaire du fonctionnement de cet atelier : les femmes avaient partiellement accès au nu masculin qui était souvent un adolescent caleçonné pour des questions de bienséance. Cet atelier fut ainsi pendant longtemps le seul endroit où les femmes pouvaient étudier le modèle nu féminin et masculin.

Afin d’obtenir une formation artistique similaire, Hélène Bertaux, sculptrice alors auréolée de succès, avec le concours de son association féminine, l’Union des femmes peintres et sculpteurs, créée en 1881, lutte sans relâche pour l’entrée des femmes à l’Ecole des Beaux-Arts qu’elle n’obtiendra qu’en 1897



Aleksandra Kovacevic


Notes


(1) SOFIO, Séverine, “Les vertus de la reproduction. Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle”, dans Travail, genre et sociétés, 2008/1 (N°19), p. 23-39.


(2) FOUCHER ZARMANIAN Charlotte, Créatrices en 1900 : femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, coll. « Histoire de l’art », 2015, p. 193.


(3) FEHRER, Catherine, « Women at the Académie Julian in Paris », dans The Burlington Magazine, 136, n°1100, 1994, p. 753.


(4) Ibidem.


Sources et bibliographie


FEHRER, Catherine, “Women at the Académie Julian in Paris”, dans The Burlington Magazine, 136, n°1100, 1994, p. 752-757.


FOUCHER ZARMANIAN Charlotte, Créatrices en 1900 : femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, coll. « Histoire de l’art », 2015, 358 p.


JARBOUAI Leïla, “Lutter pour apprendre son art”, Dossier de l’art, n°270, juin 2019, p. 8-13.


KOVACEVIC, Aleksandra, L’atelier de sculpture pour les femmes de Mme Léon Bertaux, de sa création à l'entrée des femmes à l'Ecole des Beaux-Arts, Mémoire de 1ère année de deuxième cycle, sous la direction d’Isabelle Morin Loutrel, Paris, École du Louvre, 2019.


SOFIO, Séverine, “Les vertus de la reproduction. Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle”, dans Travail, genre et sociétés, 2008/1 (N°19), p. 23-39.


VOTTERO Michaël, “Autour de Léon Cogniet et Charles Chaplin : la formation des femmes peintres sous le Second Empire”, dans Histoire de l’art, n°63, octobre 2008, p.57-65.

















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