La copie était considérée comme une œuvre d‘art. La preuve en est : les femmes artistes ont exposé des copies, et ceci dans l’exposition la plus importante, le Salon officiel.
Qu’est-ce que que le Salon ?
Le Salon de peinture et de sculpture (fig.1), dit Salon officiel, créé en à la fin du XVIIe siècle, était encore la principale manifestation artistique en France pendant une grande partie du XIXe siècle. Organisé par l’Etat, les artistes vivants pouvaient y exposer leurs œuvres, à condition qu’elles aient été sélectionnées par un jury. Cette procédure d’admission fait que les œuvres choisies étaient jugées de bonne qualité, y compris les copies.
Le Salon accorde ainsi une légitimité à l’œuvre et à son artiste, et permet de se faire connaître : c’est un signe de professionnalisation.
Le Salon est un événement artistique de première importance, notamment entre 1798 et 1879. A partir de 1880, le Salon n’est plus organisé par l’Etat, et prend le nom de “Salon des artistes français”. Les copies exposées par des femmes artistes après 1880 ou dans d’autres salons pourront être abordées prochainement dans d’autres articles.
Quelle place pour les femmes copistes au Salon ?
La base de données Salons permet d’évaluer la part de femme exposant des copies. Au moins 3169 copies ont pu être recensées entre 1798 et 1879 (1). Sur ce total, 869 sont des œuvres signées par une femme artiste (2). Ainsi, moins d'un tiers des copies sont exposées par des femmes artistes.
Par ailleurs, les copies des femmes artistes ne représentent qu’une petite part des œuvres exposées par celles-ci : les copies ne représentent que 5% des 17 112 envois enregistrés pour des femmes artistes (3). Ainsi, si les copies sont présentées au Salon, au même titre que les œuvres originales, elles ne représentent pas une part importante.
Qu’exposent les femmes copistes ?
Les femmes copistes exposent des copies d’après des peintures ou des dessins, mais presque exclusivement sur un autre support.
En effet, à partir de 1859, il apparaît dans le règlement du Salon un article qui concerne, entre autres, l’envoi des copies. Cette clause était sans doute admise bien avant, sans forcément être formulée :
“Ne pourront être présentés : Les copies, sauf celles qui reproduiraient un ouvrage dans un genre différent, sur émail, sur porcelaine, ou par le dessin [...]” (4)
La copie d’un support à l’autre est la seule acceptée : sur porcelaine en très grande majorité, sur faïence ou émail, sur éventail, mais aussi à l’aquarelle, au pastel, au crayon graphite sur papier, des miniatures, et même des gravures. Le Salon s’organisant en section liée aux techniques, on trouve donc souvent les femmes copistes dans la grande catégorie “Dessins. Cartons, aquarelles, pastels, miniatures, émaux, porcelaines, faïences”. Il est intéressant de remarquer que ces techniques étaient moins “prestigieuses” que la peinture.
Un exemple de copies exposées : les miniatures de Clémentine Pépin
Clémentine Pépin participe dix fois au Salon entre 1866 et 1878. Il se trouve que deux de ses œuvres ont été photographiées. On y retrouve l’accrochage caractéristique du Salon, qui présentait sur un même mur de nombreuses œuvres. Les œuvres de Clémentine Pépin sont à peine visible car elles sont de petit format : ce sont des miniatures d’après deux célèbres toiles de Léonard de Vinci : La Joconde (fig. 2) et L’Enfant Jésus, la Vierge et sainte Anne (fig. 3).
Quelle réception dans la presse et chez les critiques d’art ?
Puisque les copies étaient exposées, elles étaient aussi commentées dans la presse, par la critique d’art et même par les visiteurs. Il est difficile, par manque d’étude sur le sujet, d’analyser la réception générale des copies. Toutefois, quelques exemples d'articles peuvent être analysés. D’après nos premières observations, il ne semble pas que les critiques faisaient tant de différences entre un original et une copie. La copie était souvent valorisée pour sa fidélité et pour sa bonne exécution. Ainsi, dans Les peintres de genre au salon de 1863, Charles Gueullette expliquait : “Les copies de maîtres se trouvent en grand nombre au salon; elles portent généralement le cachet d’une interprétation intelligente du style et la manière du modèle.” (5). L’auteur soulignait ensuite la bonne exécution de certaines copies, qui ont essentiellement été réalisées par des femmes.
Le passage d’un support à l’autre est souligné et apprécié par certains critiques, comme la peinture sur porcelaine dans la Gazette de France en 1845 :
“Un grand tableau également sur porcelaine, de fleurs et de fruits, d’après Jacobber, par Mme Céline Hortensius de Saint-Albin, offre l’éclat, la grâce et la savante exécution du modèle et de plus cette finesse [...]. On n’encourage pas assez ce genre de traduction qui est inaltérable et doit survivre aux originaux eux-mêmes.” (6)
Parfois, les critiques préfèrent les copies aux œuvres originales proposées par l’artiste. Par exemple, en 1868, Clémentine Pépin expose un Portrait de Mlle C. P… trouvé “en-dessous de son talent ordinaire” par la Revue de Paris, tandis que sa copie d’après un tableau de Lesueur “est charmante” (7).
Les compte-rendus du Salon dans la presse sont une source de première importance pour faire resurgir des femmes copistes, et pour comprendre la perception de cette pratique au XIXe siècle. Le dépouillement de la presse autour d'autres expositions semble donc tout aussi intéressant : les femmes copistes ont-elles une place en dehors du Salon, et donc de la pratique académique ?
Ludivine Fortier
Notes
(1) Ce chiffre a été obtenu en cherchant le terme “d’après” dans la rubrique “œuvre”, et en excluant ensuite “d’après nature”. En effet, les copies sont très régulièrement signifiées “d’après” un autre artiste. Il est probable que certaines copies ne soient toutefois pas prises en compte dans ce calcul.
(2) Le nombre de copies réalisées par des femmes a pu être trouvé grâce à la mention presque systématique de “Mme” ou “Mlle” pour signifier le genre des femmes artistes. Néanmoins, les femmes artistes pourraient être un peu plus nombreuses à exposer.
(3) En effet, en cherchant “Mlle” et “Mme” dans le champ “artiste”, 17112 œuvres sont recensées. Parmi elles, 869 œuvres ont dans leur titre le mot “d’après”. La part de copie pourrait donc être un peu plus importante si ce dernier terme n’apparaît pas.
(4) Article 3, Salon de 1859, voir SANCHEZ Pierre, SEYDOUX Xavier, Les catalogues des Salons, VII (1859 - 1863), Dijon, L’Echelle de Jacob, 2004.
(5) GUEULLETTE Charles, Les peintres de genre au salon de 1863, Paris, Gay Editeur, 1863, p.61-62.
(6) A., “Beaux-Arts. Exposition du musée.”, Gazette de France, 21 mai 1845, p.2.
(7) PALMA Etienne, “Salon de 1868”, Revue de Paris, juillet 1868, p.86, n°3207.
Sources
Base de données Arcade des Archives nationales.
Base de données Salons du musée d'Orsay.
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