Copier sur porcelaine, le lien entre le musée du Louvre et la manufacture de Sèvres
Si on parle de porcelaine, on pense immédiatement à la belle vaisselle, aux vases et aux personnages de porcelaine qui ornaient les vaisseliers et les commodes du XVIIIe siècle, mais pense-t-on aussi aux tableaux et médaillons représentés dessus ? Au XIXe siècle, une grande vogue apparaît dans le domaine de la porcelaine de Sèvres, copier les chefs-d’œuvre du Louvre sur ces surfaces brillantes et incurvées, plus faciles à acquérir, à collectionner et à conserver que les tableaux originaux.
La porcelaine, une technique particulière
La porcelaine est faite principalement de kaolin et de feldspath, pâte ensuite recouverte d’une glaçure, sorte de vernis. Peindre sur porcelaine consiste à appliquer une couche picturale sur un support en porcelaine (une plaque ou une pièce de forme).
On façonne la pièce, on la cuit une première fois, on pose la glaçure puis on recuit la pièce à haute température. C’est seulement à ce moment-là que le peintre peut humecter son pinceau avec un oxyde métallique réduit en poudre (le colorant), délayé dans une essence, et réaliser son décor. Enfin, il faut recuire une dernière fois la pièce à plus basse température pour faire adhérer les décors à la surface de la porcelaine.
Au XVIIIe siècle, l’arrivée des porcelaines chinoises en Europe influence la peinture sur porcelaine. Des fonds colorés permettent désormais de délimiter un espace dédié à une représentation figurative, comme une sorte de cadre.
A partir de 1804, le support pour ces tableaux en porcelaine change. Alexandre Brongniart, directeur de la Manufacture de Sèvres, atelier officiel de la porcelaine en France, introduit la pâte dite “dure” à la place de la pâte tendre. Cette pâte dure permet de fabriquer de plus grands formats d’objets en porcelaine et donc d’avoir des surfaces beaucoup plus grandes à peindre.
La Manufacture de Sèvres au Musée du Louvre : des copistes privilégiées
La copie sur porcelaine au musée du Louvre apparaît comme un phénomène particulier au XIXe siècle concernant les femmes copistes, car elles constituent alors un groupe de spécialistes « à part » dans la population des copistes du Louvre.
Les femmes peintres de la Manufacture de Sèvres, tout comme leurs confrères masculins, bénéficient d’un atelier collectif spécial au sein du musée du Louvre, où elles travaillent dans une atmosphère calme, à l’écart de la foule des copistes peuplant alors les galeries du musée.
Ce privilège est dû à Alexandre Brongniart, directeur de la Manufacture de Sèvres, qui passe un accord en 1816 avec le comte de Forbin, alors directeur du musée du Louvre.
Soucieux de l’éducation de ses artistes, Brongniart obtient également la faveur de Lucien Bonaparte de recevoir des apprentis mais également de faire faire à la pièce des copies de peintures sur porcelaine, dont la confection serait confiée à des femmes. La présence des femmes artistes, qui restait mineure dans l’institution au XVIIIe siècle, se développe considérablement suite aux mesures prises par Brongniart et à l’apparition de l’atelier de Marie-Victoire Jaquotot.
L’octroi d’un atelier spécial pour les copistes de Sèvres au Louvre est d’ailleurs obtenu, entre autres, grâce à la reconnaissance de son travail par le roi qui la nomme en 1816 “Peintre sur porcelaine du Cabinet du Roi”, suite à sa copie de la Belle Jardinière de Raphaël, présentée à la Manufacture de Sèvres (fig. 2).
Pourquoi copier sur porcelaine ?
La copie avait plusieurs objectifs : elle était un moyen de formation des élèves de Sèvres et permettait de répondre aux commandes officielles et privées.
Mais au début du XIXe siècle, la copie sur porcelaine permet aussi de répondre à la prise en compte d’un nouvel enjeu. Avec les guerres napoléoniennes et l’ouverture du Musée du Louvre, le rassemblement et le déplacement de plusieurs milliers d’œuvres d’art occasionnent des accidents qui abîment les œuvres peintes, de manière parfois irréversible (comme le dépôt de fresques ou la transposition des peintures sur bois vers des toiles). C’est alors que se pose la question de la conservation des chefs-d’œuvre de la peinture ancienne. Or, la copie, en particulier celle sur porcelaine, présente comme principal avantage le fait de pouvoir conserver les couleurs de manière pérenne ainsi que l’absence de dégradation potentielle de la toile.
C’est dans ce contexte que la peinture sur porcelaine est reconnue. Brongniart défend le statut d’artistes des membres de sa manufacture et l’évolution de leur statut leur permet désormais d’obtenir des médailles aux Salons (fig. 3), événement majeur pour tous les artistes du XIXe siècle.
Une discipline dominée par les femmes et des privilèges accordés aux femmes copistes
La copie sur porcelaine est dominée par les femmes, qui se forment alors dans l’atelier d’apprentissage d’une peintre sur porcelaine réputée, Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855). Ces femmes copistes sur porcelaine remportent alors toutes les médailles au Salon dans cette catégorie. On peut citer parmi tant d’autres Athénaïs Paulinier, Marie-Adélaïde Ducluzeau (fig. 4), Pauline Laurent ou encore Virginie Bocquet.
Si les femmes de la Manufacture de Sèvres ont le même statut en tant que copistes sur porcelaine que les hommes exerçant la même discipline, elles accèdent à certains privilèges auprès du Musée du Louvre que n’ont pas ces derniers. Fait exceptionnel dans l’histoire du Musée du Louvre, les œuvres originales copiées par les artistes féminines ont pu non seulement être déplacées de leurs cimaises, mais aussi sortir des murs du Louvre lui-même. En effet, alors que le congé maternité n’existait pas et que très peu de femmes travaillaient durant leur grossesse, les peintres copistes sur porcelaine de la Manufacture de Sèvres ont pu continuer leurs copies malgré leur grossesse !
Athénaïs Paulinier copie un portrait de Rembrandt sur porcelaine pour l’exposition de la Manufacture de Sèvres en 1832 (1). En raison de sa grossesse, celle-ci obtient à titre exceptionnel l’autorisation de faire venir le tableau chez elle, rallongeant la durée du prêt de l’œuvre pour la copie. En raison de sa grossesse, celle-ci obtient à titre exceptionnel l’autorisation de faire venir le tableau chez elle, rallongeant la durée du prêt de l’œuvre pour la copie.
Il ne s’agit pas d’un cas unique. On trouve aussi la demande d’Adélaïde Ducluzeau à l’adresse de l’administration sollicitant le déplacement d’un tableau chez elle en raison de sa grossesse. Une prépondérance féminine parmi les peintres copistes sur porcelaine amène vraisemblablement l’administration à être plus accommodante auprès de ces artistes qu’avec les autres copistes.
En conclusion, si la copie sur porcelaine est un milieu artistique qui paraît plutôt restreint par sa spécificité, c'est l'une des voies où les femmes artistes ont pu véritablement être reconnues et obtenir un statut d'artistes professionnelles, à l'image de Marie-Victoire Jaquotot (dont le parcours est retracé plus en détails dans la rubrique biographies).
Elisa Magnani
Notes
(1) SOFIO Séverine, Artistes femmes : la Parenthèse enchantée, XVIIIe-XIXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2016.
Comments