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Revue de presse au XIXe siècle : la perception des femmes copistes par les journalistes et critiques

La presse au XIXe siècle n’est pas tendre envers les femmes copistes : c’est le constat qui se détache clairement de la lecture de quelques articles de la seconde moitié du siècle (1). Cependant, ce billet ne vise pas à déclamer un sexisme ambiant et généralisé durant cette période. D’une part, ces articles de presse ne sont qu’un pan de la critique artistique et sociale, qu’une infime partie parmi la masse des publications de cette époque, et souhaitent se démarquer et convaincre par des propos volontairement catégoriques et outranciers : peut-on pour autant prendre leurs allégations pour des préjugés communs et des opinions répandues ? D’autre part, les artistes féminines sont tout de même soutenues dans leurs activités et, concernant la copie, sont touchées par des critiques comme leurs collègues masculins.

L’invasion des salles des musées


En effet, le point commun chez les copistes des deux sexes, pointé du doigt par les journalistes, est leur envahissement des salles de musée. Ils cachent les œuvres aux visiteurs et occupent beaucoup de place avec tous leurs instruments de travail : “Ils ne sont pas transparents, et vous empêchent de voir.” (2) comme l’énonce Jacques Tellier, à propos de l’afflux des copistes au Louvre, qui propose de réduire leur accès au musée à deux jours par semaine. Même si l'accrochage et l'éclairage des œuvres étaient différents d'aujourd'hui et donc l'encombrement véridique, les copistes, considérés comme des maladies se propageant et semant le chaos autour d’eux, sont désignés par des termes parfois excessifs. Le journaliste Albert évoque “une épidémie” honteuse pour les musées et voit en ces femmes et ces hommes des “parasites” plutôt que des artistes (3).

Les atteintes liées au physique des copistes


Concernant plus précisément les femmes copistes, la première des offensives de la presse - comme des caricatures - est menée contre leur physique. En effet, les journalistes ne semblent pas prêter attention ou tenter de comprendre leur travail, mais commencent bien trop souvent par des critiques faciles et sévères envers leur apparence (fig. 1), avant même de dénigrer leurs œuvres et leurs talents artistiques. Les auteurs soulignent la beauté et l’élégance de certaines femmes mais insistent surtout sur leurs supposés défauts, leur manque d’attrait, leur corpulence ou leur vieillesse par exemple. Afin de discréditer encore plus les copistes, leur superficialité est mise en relief : elles travailleraient au musée uniquement pour paraître en société, pour se distinguer des autres et s’enorgueillir de leur activité.

Extrait de l'article : "Les galeries du Louvre et du Luxembourg sont littéralement envahies par des chignons d'or ou d'ébène encadrant des minois mats ou roses, jolis ou laids ; par des anglaises blanches, derniers et postiches ornements de dames à lunettes qui furent peut-être gentes autrefois : 'Mais où sont les neiges d'antan !'"
Fig. 1 : Extrait de l’article « Une épidémie au Louvre et au Luxembourg », dans Art et critique. Revue littéraire, dramatique, musicale et artistique..., dir. Jean Jullien, Paris, 18 janvier 1890. (source : Gallica).

Extrait de l'article : "Il y a des couvents pour de semblables apprentissages! Après tout, cela explique et excuse peut-être les feuilles de vigne dont certain conservateur pudibond gratifia les antiques!"
Fig. 2 : Extrait de l’article « Une épidémie au Louvre et au Luxembourg », dans Art et critique. Revue littéraire, dramatique, musicale et artistique..., dir. Jean Jullien, Paris, 18 janvier 1890. (source : Gallica).

La négation de la professionnalisation des femmes copistes et artistes


La seconde offensive de la presse est menée contre l’activité et le talent artistique des femmes, niant ainsi la copie en tant que processus artistique et surtout les femmes en tant qu’artistes. Une critique forte se porte tout d’abord vers leur relation avec le monde des musées qui ne seraient pas faits pour elles. Outre le fait que ces femmes y soient parfois seules en société, elles étudient certaines œuvres qu’il serait répréhensible et immorale de regarder et de copier comme les nus des statues grecques, selon le journaliste Albert (3) (fig. 2). Ce dernier généralise son propos, dénigre les copistes et leurs œuvres qu’il qualifie d’”ignobles croûtes” dont les auteurs, dépourvus de techniques artistiques, “n’apprennent rien, ne cherchent même pas à apprendre” (3). Dans la même lignée virulente, F. Bourgeat discrédite les copistes en affirmant que leur pratique ne leur sert soit qu’à gagner leur vie soit qu’à épater leurs proches, car “lorsque le caprice lui en passe par la tête, elle peut, tout aussi bien qu’un simple barbouilleur de profession, commettre, elle aussi, quelque chef-d’œuvre...” (4). Ce mépris envers les femmes artistes, jugées souvent faibles d’esprit et dénuées de toute créativité, rejoint celui éprouvé envers la pratique de la copie. Valéry Vernier dans L'Éclair (5) tente d’expliquer le nombre important de femmes copistes en étudiant leur psychologie et personnalité et en différenciant les deux sexes : “La femme a l’instinct de l’imitation”. Selon lui, l’intérêt féminin ne se concentre que sur la superficialité, la matérialité des œuvres sans aller au-delà (fig. 3) et il est impossible pour la copiste de dépasser l’œuvre originale, sauf en cas d’”inhabileté de sa main” : la femme ne pourrait donc pas être artiste et la copie ne prendrait pas part au processus de création.


Extrait de l'article : "Il en coûte toujours à l'homme artiste de s'appliquer à reproduire la pensée d'un autre, exprimée par le trait ou la couleur. Pour les femmes, ou la plupart, il n'y a pas de pensée dans un tableau. Il y a un trait gracieux, voluptueux ou énergique, matériellement parlant ; il y a un coloris aimable, séduisant, ou des contrastes, des oppositions passionnées qui l'émeuvent, la troublent, matériellement toujours. Quelques-unes, peut-être, voient la pensée, la devinent sans l'analyser ; et il y a plaisir pour elles à la rendre. C'est la pensée d'un homme."
Fig. 3 : Extrait de l’article “Les dames du Louvre”, L'Éclair. Journal littéraire, A.-J. Serret et Gabriel Prévost (dir.), Paris, 15 décembre 1867. (source : Gallica).

La vision des journaux féminins ou féministes


Qu’en est-il donc des journaux dits féminins ou féministes ? De manière générale, ces derniers soutiennent les femmes en tant qu'artistes professionnelles. Cependant, certains articles n'exposent pas une émancipation féminine complète. Ainsi, des contradictions apparaissent parfois au sein d'un même journal (6). Par exemple, dans le Journal des dames et des modes, on peut lire en 1802 "On sait bien que le despotisme des hommes est un grand obstacle à l'instruction des femmes" (7) puis en 1812 "Le dessin [...] et la peinture sont la plus douce et la plus forte chaîne qui puisse retenir une femme au sein de ses foyers" (8). En ce qui concerne plus particulièrement les copistes, outre le fait flagrant que ces journaux ne semblent pas s'abaisser à une critique facile du physique, leurs propos semblent plus pondérés. Par exemple, un article du journal féministe La Fronde différencie les copistes femmes et hommes amateurs et professionnels et met en valeur les réalisations artistiques de ces derniers par lesquelles "les femmes se distinguent" (9).


Ainsi les critiques, parfois virulentes, de la presse comme des caricatures, attaquent à la fois le physique des femmes copistes, leurs qualités intellectuelles, leurs techniques et leurs choix artistiques. Cette image négative à leur encontre correspond au tournant des années 1850 où les mentalités s'opposent peu à peu à la professionnalisation féminine (10). L'environnement des femmes copistes étant évoqué de manière sous-jacente dans les articles de presse (11), il s’agit donc de garder en tête que ces artistes subissent les pressions de la société, les préjugés envers leur sexe et les attaques envers leur activité ou leur profession.


Hortense Denis


Notes


(1) Ces articles de presse sont tous disponibles en ligne sur la base Gallica de la Bibliothèque nationale de France.


(2) Art et critique. Revue littéraire, dramatique, musicale et artistique..., JULLIEN Jean (dir.), Paris, 18 janvier 1890.

(3) “Une épidémie au Louvre et au Luxembourg”, dans id.


(4) “Les dames artistes”, L'Univers illustré, LANGEAC Th. de (dir.), Paris, 26 juin 1880.


(5) “Les dames du Louvre”, L'Éclair. Journal littéraire, SERRET A.-J. et PREVOST G. (dir.), Paris, 15 décembre 1867.


(6) LAFONT Anne, FOUCHER Charlotte et GORSE Amandine, Plumes et pinceaux. Discours de femmes sur l'art en Europe, 1750-1850, vol. 1, Dijon, Presses du réel, "Œuvres en société", 2012, p. 256-258.


(7) Journal des dames et des modes, n°12, 30 brumaire an XI (21 novembre 1802).


(8) Journal des dames et des modes, n°18, 31 mars 1812.


(9) "Les copistes au Louvre", La Fronde, DURAND Marguerite (dir.), Paris, 4 octobre 1902.


(10) SOFIO Séverine, Artistes femmes. La parenthèse enchantée, XVIII-XIXe siècles, Paris, CNRS, “Culture & Société”, 2016, p. 340 et 346.


(11) Des “œillades”, “regards sournois”, “haussements d’épaules”, “malveillantes plaisanteries” et des “rires” à l’encontre des copistes, dans “Les dames du Louvre”, L'Éclair. Journal littéraire, SERRET A.-J. et PREVOST G. (dir.), Paris, 15 décembre 1867.

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