Les caricatures du XIXe siècle offrent une vision masculine intéressante de l’apparence et de l’activité des femmes copistes. En effet, elles présentent d’une part bien sûr un ressort comique, divertissant et d’autre part une satire mordante. Elles sont liées à la presse illustrée ou à des publications, comme Les pensionnaires du Louvre de Louis Leroy et Paul Renouard pour les dessins (1). Cette dernière a été une source essentielle pour ce billet, il convient donc d’en dresser un rapide aperçu. Il s’agit d’une sorte de déambulation, à travers les salles du musée du Louvre, de deux hommes peintres, qui observent, décrivent les visiteurs et surtout les copistes, retranscrivent les discussions par le texte et les situations par les illustrations : la frontière est floue entre réalisme et exagération ou pure invention (2).
Entre dérision...
Un des objectifs principaux des caricatures est le divertissement ainsi que l’intention plaisante et comique. Tout d’abord, les dessins humoristiques soulignent un lien - fictif - entre la copiste et le genre artistique copié. Par exemple, des caricatures de Paul Renouard sont commentées par F. Bourgeat dans L'Univers illustré (3) de la façon suivante. “L’art élevé” (fig. 1) est copié par une femme installée sur « un tabouret de plusieurs étages » dominant les visiteurs du regard et s’enorgueillissant de sa peinture. Une copiste s’attèle également à une œuvre semblant un miroir (fig. 1) : le portrait d’une femme aussi élégante et charmante qu’elle. De plus, deux autres caricatures présentent l’art antique copié par une femme debout, austère, son manteau relevé sur ses épaules comme un “drapé” ou bien par une vieille femme, “brave et antédiluvienne peintresse”. Par ailleurs, le comique de situation trouve un terrain de choix en tirant parti de la confrontation de la femme artiste à la nudité masculine dans l’art. Ainsi, dans Les pensionnaires du Louvre, voyant une copiste à l’œuvre devant une statue grecque (fig. 2), une femme visitant le musée a “peine à comprendre comment une jeune fille peut rester ainsi en tête-à-tête avec une pareille nudité”, ce à quoi le peintre protagoniste lui rétorque : “vous voyez qu’elle a choisi le côté de la statue le moins… compromettant” (1).
… et satire
L’autre objectif des caricatures est la satire virulente, en attaquant les copistes sur leur physique et leur prétendue superficialité. Les femmes ne sont pas jugées attrayantes par les journalistes et les caricaturistes tout d’abord en raison de leur vieillesse et de leur corpulence. Ces critiques sont récurrentes et soulignent avec dureté l’apparence de copistes enveloppées, non souriantes et aux visages marqués (fig. 3 et 4).
De plus, les attaques sont particulièrement dures envers la prétendue laideur des copistes. Toujours dans Les pensionnaires du Louvre, les deux peintres protagonistes sont impitoyables devant une femme copiant La cruche cassée de Greuze (fig. 5 et 6) : à la remarque qu’elle “croit se voir dans une glace”, l’autre répond “Ses prétentions rachètent sa laideur” mais le premier réplique “Elles l’augmentent au contraire” (1) !
Enfin, un autre blâme réservé aux copistes est leur soi-disante superficialité et manque d’esprit. Elles - les belles femmes surtout si l’on suit la logique de ces critiques - viendraient au musée dans l’unique but de faire des manières, de se montrer en public, en pratiquant la copie comme simple prétexte. Par exemple la copiste, caricaturée dans Les pensionnaires du Louvre (fig. 7) et décrite comme “svelte, jolie, élégante”, subit des reproches. En effet, selon les personnages principaux de l’ouvrage, sa manière de peindre est précieuse et peu naturelle, en tenant “sa brosse par l’extrême bout” avec “un petit effet de petit doigt”, et la copiste s’exhibe également aux hommes : “Sa taille cambrée se renversait en arrière coquettement lorsqu’elle voulait juger de l’effet de son esquisse. Petit manège gracieux répété plus souvent que de raison pour messieurs les spectateurs.” (1).
Ainsi, on constate que les dénigrements sont violents autant par les mots que par les caricatures : les dessins semblent donc indissociables des textes qui les accompagnent, souvent courts dans la presse, mais parfois plus conséquents dans les publications. Les caricatures et leurs commentaires se révèlent particulièrement incisifs dans la presse : aucun intérêt n’est montré pour les techniques des copistes ou leur goût pour les grands maîtres. L’ouvrage de Louis Leroy paraît plus nuancé : il n’est d’ailleurs pas critiqué par La Gazette des femmes, qui en un court paragraphe évoque le “texte humoristique” de l’auteur et la “galerie originale et ressemblante, d’un crayon assuré, savant et fin” de l’illustrateur (4). Cependant, même si cette publication a le mérite de présenter des femmes au travail, de souligner leurs modèles, leurs techniques et leurs styles, l’approche des protagonistes est toujours envahissante, invasive et sans gêne, ce qui transmet préjugés et opinions négatives dans les caricatures.
Il est essentiel de ne pas oublier la part de réalité et le caractère comique de ces dessins. Néanmoins, les attaques généralisées, brusques, sans concession et les critiques basses sans fondement et argument purement artistique ne servent qu’à décrédibiliser les copistes aux yeux de la société. Les attaques fusent quelle que soit l’apparence de la femme, qui est critiquée pour ses gestes maniérés, sa superficialité ou bien son manque d’attrait ou encore pour son grand âge. Cette vision très négative des copistes féminines correspond au tournant des années 1850, évoqué par Séverine Sofio, où les artistes professionnelles sont considérées comme des “vieilles filles pathétiques, coureuses de mari ridicules, peintres ratées, hommasses et viragos” (5).
Hortense Denis
Notes
(1) LEROY Louis et RENOUARD Paul, Les pensionnaires du Louvre, Paris, Londres, J. Rouam, Librairie de l’Art, 1880, 97 p.
(2) Dans cet ouvrage, les caricatures alternent avec des portraits fidèles et respectueux, les discussions spontanées semblant retranscrites fidèlement laissent leur place à la fin du livre à des dialogues créés de toute pièce entres des élèves et leurs maîtres, comme Holbein, Watteau, Regnault etc.
(3) « Les dames artistes », L'Univers illustré, LANGEAC Th. de (dir.), Paris, 26 juin 1880.
(4) La Gazette des femmes. Revue du progrès des femmes dans les beaux-arts et la littérature, l'enseignement et la charité, la musique et le théâtre, ALESSON Jean (dir.), Paris, 10 février 1881.
(5) SOFIO Séverine, Artistes femmes. La parenthèse enchantée, XVIII-XIXe siècles, Paris, CNRS, “Culture & Société”, 2016, p. 340 et 346.
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