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  • Photo du rédacteurAurelia Antonini

Que copier ? Où copier ? Les demoiselles copistes du Louvre


Dès son ouverture en 1793, le musée du Louvre est un lieu non seulement de conservation des arts de la République, mais est parcouru constamment par les artistes de l’époque. Jusqu’en 1848 les artistes peuvent y résider et ils y travaillent comme copistes tout au long du XIXe siècle. Bien qu’il n’accueille pas d'œuvres d’art contemporain proprement dit, les œuvres des maîtres exposées au Louvre restent le modèle pour l’éducation, la diffusion et la légitimation de l’art de l’époque. Les élèves de l’École des Beaux-Arts complètent leur éducation en allant au Louvre, et les artistes sont un public privilégié de l’institution. Beaucoup d’artistes très connus se dédient aussi à la production de copies, pour leur plaisir ou par nécessité économique, tout en les interprétant selon leur affinité : Delacroix et Cézanne copient Rubens, Manet copie Velázquez et Titien. 


Un règlement sévère mais des grands privilèges

Les règlements pour avoir la permission de copier au Louvre sont très stricts : les artistes doivent présenter une lettre de recommandation de la part des maîtres de l’atelier où ils suivent leur formation et écrire le nom de l’œuvre d’art qu’ils souhaitent copier. L’administration impose une durée limitée à l’étude des tableaux plus prisés, restreint le nombre des copistes et forme des listes d’attentes. Malgré cela, nombreuses sont les commodités accordées aux artistes : jusqu’en 1855 des journées entières sont réservées seulement aux artistes et les horaires d’ouverture sont aménagés sur simple demande. Après l’Exposition Universelle de 1855 qui signe l’ouverture journalière du musée au public pour attirer les touristes, l’administration accorde quand même l’autorisation aux artistes de venir travailler avant l’ouverture officielle. Ces horaires matinaux sont particulièrement fréquents car cela permet aux artistes d’échapper à la foule qui encombre les couloirs et au fracas des élèves artistes, étant donné qu'ils sont souvent pressés par les commanditaires.

Aujourd’hui cette documentation est précieuse pour les historiens de l’art. Grâce à ce type de documentation et celle relative à la commande de copies, Séverine Sofio a pu établir dans son article Les vertus de la reproduction. Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle que presque un tiers des artistes travaillant pour l’État en tant que copistes était des femmes. Ce chiffre est confirmé par la « carte de copiste » que le Louvre adressait à l’artiste après la demande d’autorisation à la direction des musées.


Un autre cas emblématique des privilèges accordés aux copistes est celui de la peinture sur porcelaine : au XIXe siècle cette technique apparaît comme la plus adéquate pour conserver les chefs-d’œuvre de la peinture ancienne, plus que la gravure ou la lithographie. La vraie star de cette technique était Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855), portraitiste et copiste qui travaillait pour la manufacture de Sèvres. Popularisée par cette artiste, la peinture sur porcelaine devient un secteur de production très dynamique de la manufacture et à cause de l’extrême spécialité de cette technique les artistes bénéficient d’un atelier collectif spécial au Louvre même. Ils peuvent ainsi travailler dans une atmosphère calme, à l’écart des foules qui peuplent le musée.


Pourquoi copier?


Au XIXe siècle la demande pour les copies est extrêmement élevée : l’État commande des copies des tableaux des maîtres anciens pour décorer les églises spoliées par la Révolution et confie la reproduction des portraits de personnalités importantes pour décorer les administrations. De plus la copie intéresse le public aisé aussi désireux de posséder des reproductions de tableaux célèbres. Enfin la copie présente un but pédagogique : c’est un passage obligatoire dans la formation des peintres. Aux femmes qui à l’époque ne peuvent accéder à l'académie, la copie leur permet de s’insérer dans le grand filon de la peinture d’histoire, qui sinon leur était de difficile accès, et de montrer leurs talents, bien que de manière détournée, dans le genre le plus haut. Pendant le Second Empire, l’État crée la catégorie des peintres copistes composée d’hommes et femmes confondus auxquels il commande un art officiel qui valorise son image et sa puissance. En effet c’est aussi une des seules activités professionnelles de l’époque ou, à travail égal, les femmes perçoivent le même salaire que les hommes. La copie n’est pas donc une catégorie de seconde plan mais est une ressource économique importante, nécessaire pour soutenir la création personnelle. 


Un Louvre pour les femmes?


Le Louvre devient donc le premier lieu de création et de légitimation de l’art de ces artistes professionnelles qui, comme on l’a dit précédemment, avaient accès à une offre pédagogique limitée. En même temps le Louvre est aussi régi par des conditions de promiscuité et de rivalité qui voient les femmes contraintes à s’y rendre chaperonnées. Gustave Flaubert l’affirme aussi dans son Dictionnaire des idées reçues de 1913 avec un célèbre aphorisme : « Du Louvre : à éviter pour les jeunes filles ».

Le Louvre est ainsi pour les femmes un lieu où elles ne sont pas seulement spectatrices des œuvres mais où elles en conçoivent aussi et où elles complètent leur formation étant exclues de l’Académie. Les femmes en parcourant cet espace public sont aussi sujettes à des accusations et les artistes ne sont pas épargnées : la critique les assimile à des barbouilleuses qui envahissent le musée. Le critique d’art Louis Leroy, dans son ouvrage Les Pensionnaires du Louvre de 1880, est certainement un des plus virulents dans sa description des stéréotypes qui à l’époque circulaient sur elles. Il reporte différents archétypes qui ridiculisent les copistes dans les dialogues misogynes de son livre, accompagnant son discours de nombreuses illustrations.


Au fil du temps finalement, les demoiselles copistes du Louvre commencent à entrer dans l’imaginaire lié à l’institution. Déjà, à la fin du XVIIIe siècle, Hubert Robert représente des femmes en train de travailler dans Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre (fig. 1). Ces figures fascinent aussi à l’étranger, grâce aux artistes en visite qui représentent dans de nombreuses compositions des scènes où le travail des copistes est mis en relief. Par exemple, dans la gravure de Thomas Allom, Vue de l'intérieur de la grande galerie du Louvre fréquentée par des touristes et des peintres, publié à Londres et à Paris par Fisher Fils & Co., des figures de femmes sont montrés en premier plan en train de copier les tableaux des anciens maîtres, accompagnés par leur assistantes (fig. 2). Les représentations par d’autres artistes également restent nombreuses tout au long du XIXe siècle : Etienne Azambre les montre encore en 1894 dans le tableau Au Louvre (fig. 3). La représentation continue des femmes copistes au travail, devant leur chevalet avec palette et pinceau à la main, leur donne finalement une forme de légitimité.

Aujourd'hui au Louvre...


Le Louvre permet encore à 250 artistes professionnels et amateurs par an de venir copier le chef-d’œuvre de leur choix. Le règlement reste très sévère : les copistes peuvent venir travailler pendant trois mois avec un accès aux galeries pendant la matinée. Une fois le travail terminé, il est inspecté par l’administration qui veille que les strictes exigences soient respectées : les toiles doivent être un cinquième plus petites ou plus grandes que les originales et la signature de l’artiste originale ne peut pas être reproduite, afin que des faux ne puissent pas être réalisés. Cela nous montre que la tradition de la copie est bien loin de disparaître et est encore aujourd’hui considérée comme importante par les institutions. 













Aurelia Antonini


Bibliographie


BEYSSAT Claire Dupin de, « Un Louvre pour les artistes vivants ? Modalités d’appropriation du musée par et pour les artistes du XIXe siècle », Les Cahiers de l’École du Louvre, mis en ligne le 26 octobre 2017, consulté le 17 septembre 2019, pp. 56-67. 


SOFIO Séverine, « Les vertus de la reproduction. Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle », Travail, genre et sociétés, n°19, janvier 2008, consulté le 8 novembre 2019, pp. 23-39.


STRZALKOWSKI Clémentine, Femmes copistes et commande publique (1848-1914). Des artistes professionnelles au service de l’Etat, mémoire d’étude de 1ère  année de 2ème cycle, École du Louvre, mai 2019. 


ZARMANIAN Charlotte Foucher, « Le Louvre des femmes. Sur quelques présupposés à l’égard des femmes dans les musées en France au XIXe siècle ». Romantisme n° 173, no 3, 11 octobre 2016, consulté le 29 octobre 2019, pp. 1-14.


« Srpi Aquitaine : Ouvrages de dames : les copies faites au Louvre au XIXe siècle ».Consulté le 29 octobre 2019. http://inventaire.aquitaine.fr/la-recherche-en-aquitaine/blog-de-la-recherche/mobilier-public-des-landes/ouvrages-de-dames-les-copies-faites-au-louvre-au-xixe-siecle/

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