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Photo du rédacteurAgathe Riobé

La copie dans la carrière des femmes artistes

Dans la première moitié du XIXe siècle, 30% des copistes sont des femmes alors que ces dernières ne représentent que 15% des artistes professionnels. Pourquoi cet engouement des femmes artistes pour la copie ?

La copie représente d’abord une source de revenu pour les artistes. C’est également le moyen de se faire connaître, mais aussi d’obtenir une reconnaissance esthétique.


La copie comme source de revenu

Gravure montrant des visiteurs du Louvre regardant les nombreux copistes femmes et hommes copiant les oeuvres du musée.
Fig. 1 : Gustave JANET, « Une visite au Louvre en hiver – Types de visiteurs et d’habitués », Le Monde illustré, 17 novembre 1877 – Paris, Bibliothèque nationale de France, FOL-LC2-2943 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6384397q/f11.item)

Les artistes en début de carrière, en manque de ressources n’ayant pas encore constitué leur clientèle, sollicitent souvent l’administration pour obtenir des commandes de copie. Ces demandes sont souvent accompagnées d’une apostille (certification officielle), voire d’une lettre de recommandation rédigée par leur maître. C’est le moyen pour eux de s’assurer un salaire pendant qu’ils travaillent à des œuvres originales qu’ils exposeront au Salon. Beaucoup de femmes célibataires vivent de la copie, qu’elles abandonnent éventuellement après s’être mariées. Certaines femmes, devenues veuves, quémandent aussi auprès de l’administration des copies qui permettent de les faire vivre. Mélanie Desportes, femme peintre exposant depuis 20 ans au Salon où elle a été remarquée plusieurs fois, sollicite l’administration des Beaux-Arts pour une commande de copie après la ruine de son mari. Les artistes nécessiteux n’hésitent d’ailleurs pas à vendre des copies qu’ils ont réalisées pour eux-mêmes. Il existe en effet une véritable demande de copies, de la part de personnes n’ayant pas les moyens d’acheter des originaux mais souhaitant cependant décorer leur demeure de tableaux.

Cependant, la copie est avant tout un revenu d’appoint, un complément à leur vente d’œuvres originales et parfois à leur revenu d’enseignant ou d’enseignante. Ainsi, Félicie Morvanchet, à qui a été commandée une copie de la Vierge aux cerises, d’après Annibal Carrache, pour le ministère de l’Intérieur ainsi qu’une copie d’une Vierge de Murillo, demande une permission du matin pour pouvoir achever à temps cette deuxième copie, expliquant qu’elle a « des leçons à donner de neuf à cinq heures » (AMN, P18, dos. 2, lettre du 27 septembre 1842). La copie peut d’ailleurs être plus rentable pour un artiste qu’une œuvre originale. En effet, l’Etat débourse entre 300 et 1800 francs pour une copie, tandis que le prix d’une œuvre originale peut aller de 200 à 3 000 francs. Cependant, l’artiste est sûr d’obtenir son salaire une fois la copie achevée et livrée, tandis qu’une œuvre originale n’est pas sûre de trouver acquéreur. De plus, le prix de la copie ne dépend pas de la renommée ni du sexe de l’artiste, mais uniquement des dimensions et des difficultés de la reproduction. L’artiste doit acquérir par ses propres moyens le matériel nécessaire à l’exécution de la copie, le salaire prévu ne lui étant versé qu’à la réception de l’œuvre. Toutefois, le copiste en exprimant le besoin pouvait obtenir un acompte. Une fois la copie achevée, elle était soumise à l’inspection d’un artiste commissionné par l’administration des Beaux-Arts. Même lorsque la copie était jugée irrecevable par ces inspecteurs, le copiste recevait le prix fixé au moment de la commande. La copie était donc un revenu assuré pour l’artiste.

Mais c’est aussi un moyen de se faire connaître.


La copie pour se faire un nom


Obtenir une commande lorsque l’on est un artiste inconnu de l’administration n’est pas chose aisée. C’est pour cette raison que les demandes de copies émanant d’artistes sont souvent accompagnées de recommandations, qui viennent d’artistes reconnus et de personnalités de l’art, gage du sérieux du copiste, mais aussi de personnalités politiques, députés, hauts fonctionnaires ou proches de la cour. Cela n’a rien d’étonnant si l’on considère que, sous la monarchie de Juillet, 56% des femmes copistes sont filles de militaires ou de petits fonctionnaires, alors qu’elles ne représentent que 32% des exposantes au Salon. A contrario, 80 % des exposantes filles d’artiste n’ont jamais copié pour l’État. La copie apparaît donc comme le moyen de se faire connaître, à une époque où le monde artistique est très centralisé.

En 1855, après un rapport préalable de l’inspecteur Dubois jugeant « d’une grande médiocrité » les copies et portraits au pastel qu’il avait observés chez elle, la copiste Clara Fournier (fig. 2) se fit recommander par son oncle le Contre-Amiral Major général de la Marine à Rochefort, Armand Fournier, qui rappelle les états de service de sa famille et la difficulté de percer des jeunes artistes ainsi que sa faible pension. La stratégie est efficace puisqu’elle obtient en mai 1856 la commande d’une copie de La Cène d’après Philippe de Champaigne pour un montant de 1200 francs.

Obtenir la commande d’une copie prestigieuse permet à un artiste d’obtenir une reconnaissance artistique et l’assurance de nouvelles commandes de copies. Depuis 1790, ces commandes se font soit par l’intermédiaire de l’administration des Beaux-Arts si la copie est destinée à une église ou une autre administration, soit sur la liste civile si elle est destinée à la Maison du souverain. En tout état de cause, c’est l’Etat qui attribue les commandes de copie, fixe les modalités d’exécution des tableaux, inspecte les copies et fixe la rémunération des artistes, qui touchent leur salaire une fois le travail achevé et livré. Les nombreuses correspondances conservées aux Archives Nationales témoignent de la volonté des artistes d’obtenir des commandes de copies. Il arrivait que ces artistes précisent dans leur lettre le tableau qu’ils souhaitaient copier, comme c’est le cas de Laure de Châtillon qui demande à copier le portrait de l’Impératrice le 8 janvier 1856 (AN, F/21/70, dossier 24). Si l’artiste a sollicité l’administration sans proposer de sujet, celle-ci lui attribue arbitrairement une œuvre ou, plus fréquemment, lui laisse la choisir et la proposer par retour de courrier.

Devant l’abondance des demandes, l’administration essaie de se montrer équitable comme en témoigne la lettre adressée à Mme Rhéal en octobre 1869, lui signifiant « qu’une commande ne pouvait être confiée, deux années de suite à un même artiste » (AN, F/21/250, dossier 11).

L’artiste Zoé-Laure de Châtillon, encouragée par ses succès au Salon où elle expose régulièrement entre 1848 et 1897, écrit à l’administration des Beaux-Arts en 1851 pour lui demander la commande d’un tableau original. L’Etat lui achètera plusieurs œuvres entre 1861 et 1879, payés chacune entre 1500 et 3000 francs. Parallèlement, elle reçoit la commande d’une dizaine de copies entre 1850 et 1868, tableaux religieux et portraits de l’empereur par Winterhalter. Ce qui montre bien qu’une carrière de peintre peut être menée en parallèle d’une carrière de copiste ! Mais la copie est également le moyen de faire reconnaître son talent.


La copie comme reconnaissance esthétique


Les tableaux religieux représentent la majorité des commandes de copies au cours de la monarchie de Juillet, surtout dans la deuxième moitié du règne, lorsque les demandes de copies de portraits royaux sont moins fréquentes. D’après Séverine Sofio, en 1840, 92% des copies commandées à des artistes femmes sont des tableaux religieux. Or le tableau religieux est considéré comme de la peinture d’histoire, le genre se trouvant au sommet de la hiérarchie académique des genres picturaux, et qui était souvent considéré comme l’apanage des artistes masculins, pour ce qui était des œuvres originales.

Lorsque l’artiste livrait sa copie à l’administration, celle-ci était inspectée par des artistes qui envoyaient leur rapport à l’administration. Un rapport élogieux apportait l’espoir de nouvelles commandes, comme ce fut le cas pour Madame de Ribeiro, au sujet de laquelle l’inspecteur écrit en 1853 : « J’ai l’honneur de vous informer que je me suis rendu au Louvre afin d’examiner une copie de la Vierge aux donataires d’après Van Dyck exécutée par Mme de Ribeiro et dont elle demande le solde. Cette copie qui est entièrement terminée ne manque pas de bonnes qualités [...]. Mme de Ribeiro est une artiste consciencieuse qui fera toujours un effort afin de contenter la Direction des Beaux-Arts. » (AN, F/21/105, dossier 37). Les meilleures copies pouvaient d’ailleurs être conservées comme modèle, pour éviter l’encombrement des copistes devant les tableaux du Louvre, lorsque l’on souhaitait effectuer plusieurs copies d’une même œuvre.

Mais le rapport peut également être dépréciatif. Ainsi la copie du portrait de l’empereur à mi-corps exécutée par Mlle Valentine Frichot est jugée « assez faible, je l’ai fait retoucher plusieurs fois par l’artiste, il est impossible d’en exiger davantage » (AN, F/21/81, dossier 26). Pire, le ou la copiste peut être radié-e, comme ce fut le cas pour Mme Chaussat en 1865, lors de l’inspection de son Christ en croix d’après Velázquez : « Ne plus donner de copies à Mme Chaussat qui met la plus mauvaise grâce dans l’exécution des travaux qui lui sont confiés ». Voilà qui met fin à une carrière de copiste ! Mme de Chaussat reçut d’ailleurs une lettre de la Maison de l’Empereur l’avertissant qu’elle ne pourrait « à l’avenir être proposée pour une nouvelle commande » (AN, F/21/126, dossier 51).


Si l’artiste est assuré d’obtenir son salaire une fois son tableau achevé, de la qualité de son travail de copiste dépendent les futures commandes de copies.


Agathe Riobé

Sources


SOFIO Séverine, « Les vertus de la reproduction. Les peintres copistes en France dans la première moitié du XIXe siècle », Travail, genre et sociétés, n°19, 2008/1, p. 23-39.


STRZALKOWSKI, Clémentine, Femmes copistes et commande publique (1848-1914), Des artistes professionnelles au service de l’État, Mémoire d’étude de l’Ecole du Louvre, mai 2019.

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