Blanche Derousse est une artiste copiste, évoquée jusqu'ici seulement comme l’élève du docteur Gachet. Aquarelliste et graveuse, on ne connaît d’elle que peu d’huiles sur toile.
Contrairement à beaucoup de femmes copistes de notre site, elle ne semble pas avoir copié au musée du Louvre. En revanche, sa production connue se compose en majorité de copies de tableaux d’une collection particulière : celle du docteur Gachet.
Peu d’informations sont connues à son sujet, si ce n’est grâce aux écrits laissés par le fils du docteur Gachet. Néanmoins, à l’occasion d’un mémoire de Master 1 à l’Ecole du Louvre, plusieurs hypothèses ont pu être formulées sur la carrière de cette femme copiste (1).
L'élève du docteur Gachet
Blanche Derousse est née le 28 juillet 1873 à Neuilly-sur-Marne, dans un milieu plutôt artistique car sa mère était professeur de piano, et son père, au départ comptable, est signalé comme « artiste peintre » en 1887 (2).
Il semble qu’elle ait appris l’art aux côtés du docteur Gachet à partir de 1893-1897. Avec lui, elle a probablement appris le dessin, puis la peinture et l’estampe. La copie avait une place certaine dans son enseignement. On connaît le docteur Paul Ferdinand Gachet pour sa relation avec Vincent van Gogh, pour sa collection, mais moins en tant qu’artiste (sous le pseudonyme Paul van Ryssel). Pourtant, il eut également des élèves : son fils, sous le pseudonyme de Louis van Ryssel, Blanche Derousse, et E. Bigny.
Au sujet de l'importance du docteur Gachet dans la carrière de Blanche Derousse, son fils Paul Gachet déclarait:
« celui [le docteur Gachet] qui l’avait transformée en véritable artiste : travailleuse sincère, sans farce, ni spéculation. » (3)
Le lien entre Blanche Derousse et le docteur Gachet est donc fort, et s’observe dans leurs œuvres respectives. Blanche Derousse copia des œuvres qui représentaient Gachet (fig.1 , fig. 2), et ce dernier la représenta à plusieurs reprises. Egalement, la seule photographie connue de l’artiste la représente avec son professeur et mentor, et est conservée à la Documentation du musée d'Orsay. Par ailleurs, il lui avait donné le surnom « Sükrop » qu’elle reprend dans certaines œuvres en signant « S ».
Copier une collection particulière
Blanche Derousse réalisa des copies pour le docteur Gachet d’après des œuvres de sa collection. S’agissait-il d’un exercice pour son apprentissage ou d’un travail rémunéré ? Sa production semble s’inscrire en réalité dans un projet collectif du docteur d’un ouvrage, iillustré par des copies. Elle ne fut pas la seule à réaliser des copies : Paul Ferdinand Gachet et son fils firent de même.
Elle réalisa de nombreuses copies d’œuvres de Vincent van Gogh à l'aquarelle, notamment les fameux Portrait du docteur Gachet (fig. 2) et Portrait de Vincent van Gogh.On remarque une fidélité à l'original (fig. 3), bien que le rendu soit différent, du fait du changement de technique.
Elle copia également des œuvres de Paul Cézanne (fig. 4), Armand Guillaumin (fig. 5), Amand Gautier, Norbert Goeneutte ou encore Auguste Renoir. Si elle réalisa beaucoup d'aquarelles, elle utilisa aussi la technique de la gravure, et notamment la pointe sèche : elle fit donc des gravures d'interprétations. Les œuvres de Blanche Derousse sont des copies d'un support à l'autre, et elles portent souvent la signature de la copiste.
Les copies de Blanche Derousse permettent non seulement de savoir les tableaux qui se trouvaient dans la collection Gachet, mais aussi parfois de connaître des originaux non localisés aujourd'hui.
Une carrière professionnelle ? Expositions et œuvres originales
La production de Blanche Derousse ne s'arrêta pas seulement à la maison du docteur Gachet. Elle ne fut pas seulement une "amateur". Par exemple, Blanche Derousse est mentionnée comme "artiste peintre" à l'occasion du mariage de sa sœur (4), et elle exposa également ses œuvres.
Blanche Derousse participa au salon des Indépendants (1903 - 1910) et au Salon de Pontoise (1898 - 1908), en même temps que le docteur Gachet. Elle exposa aussi bien des copies que des œuvres originales.
Ces expositions permettent ainsi non seulement d'étendre la connaissance de ses œuvres, mais aussi d'étudier leur réception.
« Il lui faudrait un peu de cette vigueur de ton que l’on trouve chez Mlle Derousse. Les aquarelles de Mlle Derousse ne sont guère celles d’une jeune fille ; elles s’imposent comme des peintures par leur coloration et par l’observation particulière de la touche qui fait la valeur de sa Nature morte. La manière de miss Mary Cassatt lui a peut-être bien inspiré Mademoiselle G…, figure un peu pâle cependant, mais qui indique un pinceau exempt de routine et libre ; comme d’ailleurs, sa pointe-sèche, Marie Stuart, estampe qui a le double avantage d’être originale et artistique par sa manière, sa conception et son tirage. » ( MOLEYN Jacques de, « Notes d’art. Le Salon Pontoisien », Le Régional de Seine-et-Oise, n°793, 15e année, 18 juin 1903, p.2)
« Dans les toiles de Mlle Derousse on trouve beaucoup de fermeté et de décision ; c’est une peinture solide dont la vigueur étonne ; on sent partout l’influence de Van Gogh dont, à ce qu’il paraît, cette artiste apprécie beaucoup le talent" ( « Notes d’art. Le salon Pontoisien », Le Régional de Seine-et-Oise, n°845, 17e année, 16 juin 1904, p.1)
Blanche Derousse réalisa des œuvres originales, mais dix-sept seulement sont connues sur soixante-deux recensées.
La mort d'une "couturière"
Blanche Derousse est décédée le 10 avril 1911 à Paris (10ème arrondissement), à l’âge de 37 ans. Son acte de décès la décrit comme « couturière » et non artiste (5).
Grâce à un achat de la Réunion des musées nationaux à Paul Gachet fils en 1960, vingt-huit aquarelles de Blanche Derousse font partie des collections du musée d’Orsay. On trouve également des œuvres de l'artiste au Van Gogh museum à Amsterdam, à la Bibliothèque nationale de France, ou dans la maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise.
Cent trente-cinq œuvres de sa main ont été recensées, mais pas toujours localisées. Certainement en grande partie perdues, ses œuvres peuvent toutefois resurgir à l'occasion de ventes aux enchères. La redécouverte d’œuvres ou de documents enrichiront sûrement l'histoire de cette artiste.
Ludivine Fortier
Notes
(1) Pour plus d'information et de précision, voir FORTIER Ludivine, Blanche Derousse (1873 – 1911). Artiste, copiste et élève du docteur Gachet, Mémoire d’étude en Histoire de l’art, sous la direction de MORIN LOUTREL Isabelle, Ecole du Louvre, 2019.
(2) Archives départementales du Calvados, 4E 9937 (Acte de naissance de Jeanne Germaine Derousse, 4 octobre 1887, Trouville, acte n°157).
(3) Paul Gachet fils, Le docteur Gachet et Murer : deux amis des impressionnistes, Paris, Éditions de Musées nationaux, 1956, p.131.
(4) « […] sont unis par le mariage / en présence de […] Blanche Derousse artiste / peintre vingt neuf ans 27 rue Beaurepaire » (Archives départementales de Paris 10M 267 (Acte de mariage de Marguerite Derousse et Noël Henri Butant, 21 mars 1903, Paris, 10ème arrondissement, acte n°406)).
(5) Archives départementales de Paris, 10D327 (Acte de décès de Blanche Derousse, 11 avril 1911, Paris, 10ème arrondissement, n°1751).
Bibliographie
Cette biographie est un résumé d'un mémoire de Master 1 à l'Ecole du Louvre, et reprend donc la même bibliographie. Les quelques ouvrages cités sont les références les plus importantes.
GACHET Paul, Le docteur Gachet et Murer : deux amis des impressionnistes, Paris, Éditions de Musées nationaux, 1956.
Un ami de Cézanne et Van Gogh : le docteur Gachet, (cat. exp. Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 28 janvier-26 avril 1999, New York, the Metropolitan museum of art, 17 mai-15 août 1999, Amsterdam, Van Gogh museum, 24 septembre-5 décembre 1999), Paris, Réunion des musées nationaux, 1999.
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