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  • Photo du rédacteurAleksandra Kovacevic

Zoé-Laure de Châtillon (1826-1908)

« Je suis arrivée lentement à la réputation et je suis tout étonnée d’être un peu connue, - ayant toujours travaillé dans l’ombre et loin du mouvement qui fait connaître. Ce système imposé par des habitudes de famille et de vie intime, était bon pour la femme, mais peu avantageux pour l’artiste. Il m’a fallu plus de patience ; mais, l’art est pour certains esprits et le reste vient quand il peut – ou ne vient pas » (1).


Zoé-Laure de Châtillon



Une femme copiste professionnelle au service de l’État

Native de Chambray-sur-Eure, Zoé-Laure de Châtillon (1826-1908), née Delaune, est la fille de Jean-Alexandre Delaune et Marie-Augustine Brousse. Le 8 avril 1850, elle épouse Jules François Henri de Châtillon (né en 1823), sous-préfet de Châteaudun. Formée dans l’atelier de Léon Cogniet, elle s’oriente vers une carrière de copiste. Entre 1850 et 1868, elle reçoit la commande d’une dizaine de copies. Estimant avoir les capacités artistique et technique pour copier des peintures de plus grande envergure, en 1851, dans une lettre adressée à l’administration, elle exprime sa déception d’avoir reçu « la commande d’une copie d’une importance minime » (2). La période du Second Empire marque un tournant dans l’évolution de son statut en tant que copiste professionnelle : elle reçoit des commandes de l’empereur Napoléon III. Elle peint en particulier des tableaux religieux copiés d’après les maîtres du Louvre, en majorité du XVIIe siècle, destinés à être envoyés dans des églises en région : Le Christ au tombeau d’après Champaigne (600 F), Le Ravissement de saint Paul d’après Poussin, La Descente de croix d’après Régnault et L’Adoration des Mages d’après Rubens, aujourd’hui conservée dans l’église Saint-Nicolas-en-Cité à Arras. Elle reçoit également quatre commandes de copies du Portrait de l’Empereur Napoléon III d’après Winterhalter (tableau 1).

Un tableau présente la liste des copies et donne les informations suivantes: prix, achat/commande, lieu de conservation de la copie.
Tableau 1 : Liste des copies de Zoé-Laure de Châtillon. source : CNAP (photo © copistespascopieuses).

Exposer en tant que femme artiste, de Paris à Chicago


A Paris, Zoé-Laure de Châtillon participe activement au Salon, tout au long de sa carrière, de 1848 à 1897 (tableaux 2 et 3), et y expose au total une soixantaine d’oeuvres, principalement dans le domaine de la peinture et des arts graphiques (pastel et dessin). Le Salon lui permet ainsi de se faire connaître en tant que grande portraitiste, mais elle est remarquée par l’administration pour des œuvres bien plus ambitieuses. Dans les années 1860, plusieurs de ses tableaux sont en effet achetés par l’État : Les trois vertus théologales en 1861, La Sainte famille en 1865, Jeanne d’Arc voue ses armes à la Vierge en 1869 et Le Sommeil en 1879 (fig. 1). A partir de 1887, à l’apogée de sa carrière et grâce à son succès exceptionnel, elle devient membre de la Société des artistes français. Loin de se cantonner au Salon, Zoé-Laure de Châtillon se tourne dès le début vers d’autres lieux d’exposition : en 1856, la présence d’un portrait sur la devanture de Giroux est signalée dans Le Constitutionnel : elle expose le portrait de Mme Cabel, jeune cantatrice dont le « charmant visage » est rendu avec une « exquise vérité » et sa physionomie de manière « gracieuse » (3). En parallèle de sa participation au Salon, Zoé-Laure de Châtillon fait partie des premières adhérentes à l’Union des femmes peintres et sculpteurs (4), association féminine créée par Hélène Bertaux (1825-1909) en 1881 dans le but d’obtenir l’entrée des femmes à l’Ecole des Beaux-Arts et de leur offrir la possibilité d’exposer annuellement dans un salon entièrement dévolu aux femmes artistes. En 1883, elle expose Jeune Beauté, 1804, une œuvre saluée par la critique, représentant, « une belle et blonde fille couronnée d’un diadème ornée d’améthystes, les seins emprisonnés dans un corsage bleu clair recouvert d’une écharpe transparente » (5), dans des « tonalités douces et nacrées » (6). Cette œuvre est également présentée la même année au Salon officiel.

A l’occasion de l’Exposition internationale de Chicago en 1893, elle devient membre de la délégation des femmes françaises artistes exposant dans le Woman’s Building à laquelle prend part l’Union des femmes peintres et sculpteurs.


Un tableau présente les dates et la liste des oeuvres exposées au Salon.
Tableau 2 : Liste des oeuvres de Zoé-Laure de Châtillon exposées au Salon. source: base Salons du musée d'Orsay (photo © copistespascopieuses).
Un tableau présente les dates et la liste des oeuvres exposées au Salon.
Tableau 3 : Liste des oeuvres de Zoé-Laure de Châtillon exposées au Salon (suite). source: base Salons du musée d'Orsay (photo © copistespascopieuses).

Une carrière de peintre à succès


Outre une carrière de copiste reconnue, Zoé-Laure de Châtillon connaît également un succès en tant que femme artiste. Ses différentes participations au Salon l’encourage à demander en 1851 « la commande d’un tableau original » (7). En plus des commandes de copies, elle en reçoit également pour des œuvres originales : L'Éducation de Jésus, une « composition simple et gracieuse » (8) en fait partie. Des copies de ses œuvres font également l’objet d’une commande : Les trois vertus théologales, La Sainte famille et Jeanne d’Arc voue ses armes à la Vierge. Cette marque de confiance et de reconnaissance lui permet ainsi de vivre confortablement de son activité puisqu’elle reçoit entre 1500 et 3000 francs pour chaque réalisation. L’approche qu’elle adopte pour sa création personnelle diffère de sa production de copies. Loin de vouloir se démarquer de ses confrères, elle souhaite au contraire rivaliser avec eux en s’emparant des mêmes sujets, tout en développant un art et un style personnel proche des peintres romantiques.

Cet héritage transparaît en particulier dans la représentation de scènes patriotiques en lien avec la situation politique de la France, traumatisée suite à la guerre de 1870-1871 : après la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace-Lorraine, elle peint L’Esclave (fig. 2), un tableau vu par ses contemporains comme « l’Alsace voilée de noir » (9) représentée sous les traits d’une jeune femme enchaînée, les cheveux au vent, dans un paysage de campagne tempétueux. Gravé, ce tableau est ensuite largement diffusé « partout où le deuil des provinces que nous pleurons se faisait sentir » (10). Par ailleurs, son Esclave peut témoigner des prémices de la prise d’indépendance des femmes artistes à une époque où Zoé-Laure de Châtillon arrête sa carrière de copiste en poursuivant à exposer au Salon. Ses œuvres, L’Option du musée de Carcassonne (fig. 3) et La Revanche du musée d’Auxerre, s’inscrivent également dans la même veine patriotique et romantique. D’un point de vue iconographique, le paysage orageux, récurrent dans sa peinture, symbole d’une France dans la tourmente et endeuillée, les jeux d’ombre et de lumière ainsi que l’intégration de personnages en détresse, pris au piège ou en fuite, confèrent à sa peinture une aura dramatique. Quelques années avant sa mort (1908 à Clarens), en 1902, Zoé-Laure de Châtillon présente au Grand Palais, lors de l’exposition de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, Au revoir !, une Alsacienne « qu’on ne demande qu’à revoir » (11) faisant partie des peintures les plus remarquables du salon féminin. Cet événement politique a donc été un tournant dans l’évolution de sa peinture.


Représentée sur un fond de paysage orageux, une jeune femme debout, les cheveux au vent et les mains enchaînées, regarde le spectateur.
Fig. 2. Zoé-Laure de Châtillon, L'Esclave, photogravure Goupil & Cie reproduite dans MONTROSIER Eugène, « Laure de Chatillon », Les Artistes modernes, n°17, 1882. source : Documentation du musée d'Orsay (photo © copistespascopieuses).





Un engagement dans l’enseignement artistique pour les jeunes filles

A la fin de sa carrière, Zoé-Laure de Châtillon est loin de délaisser le milieu artistique. En parallèle de son activité artistique, elle se tourne vers l’enseignement, comme d’autres femmes à cette époque. Femme de talent, elle est professeur dans une école municipale de dessin dans les années 1870. En 1892, par le biais d’une pétition, elle demande « un emploi d’inspectrice des écoles de dessin dans le département de la Seine» (12) et commence à diriger une école de peinture à Paris de 1893 à 1897. Ainsi, entre la fin des années 1870 et le début XXe siècle, plusieurs femmes ont pu bénéficier de son enseignement et exposer au Salon dans différentes techniques allant de la copie sur porcelaine à l’aquarelle en passant par la miniature. Parmi ses élèves, on compte : Laure Alix, Esther Barthe, Madeleine Brunet, Fernande Duhamel, Madeleine Drevet, Adélaïde Durand, Marguerite Garnot, Marie-Joséphine Gérard De Grival, Eugénie Guérard, Louise-Elisabeth Meyer et Marguerite Nattan (13).



Aleksandra Kovacevic


Notes


(1) MONTROSIER Eugène, « Laure de Châtillon », Les Artistes modernes, n°17, 1882 ?, p.132-135.


(2) Archives Nationales, F/21/70, dossier 21.


(3) Anonyme dans Le Constitutionnel, 41e année, n°117, 26 avril 1856.


(4) Zoé-Laure de Châtillon est mentionnée dans le Dictionnaire des femmes peintres et sculpteurs de Pierre Sanchez, p. 34.


(5) DARGENTY G., ”Chronique des expositions. L’Union des femmes peintres et sculpteurs (Palais des Champs-Elysées), dans Courrier de l’art, 3e année, n°9, 1er mars 1883, p.103.


(6) Ibid.


(7) Archives Nationales, F/21/70, dossier 21.


(8) TARDIEU Alexandre, “Salon de 1859” dans Le Constitutionnel, 44e année, n°125, 5 mai 1859.


(9) MONTROSIER Eugène, op.cit., p.135


(10) MONTROSIER Eugène, ibid.


(11) Anonyme, “Au Grand Palais”, dans Le XIXe siècle, journal quotidien politique et littéraire, n°11657, 9 février 1902.


(12) Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, 11 année, n°81, 24 mars 1892, p. 653.


(13) D’après la base Salons du musée d’Orsay.


Sources et bibliographie


Archives Nationales, F/21/70, dossier 21.


Anonyme, “Au Grand Palais”, dans Le XIXe siècle, journal quotidien politique et littéraire, n°11657, 9 février 1902.


Anonyme, dans Le Constitutionnel, 41e année, n°117, 26 avril 1856.


A.P., “Petites expositions. Union des femmes peintres et sculpteurs du palais de l’Industrie”, dans La Liberté, n°11,367, 3 mars 1895, p.3.


Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, 11 année, n°81, 24 mars 1892, p. 653.


DARGENTY G., ”Chronique des expositions. L’Union des femmes peintres et sculpteurs (Palais des Champs-Elysées)", dans Courrier de l’art, 3e année, n°9, 1er mars 1883, p.103.


MONTROSIER Eugène, « Laure de Chatillon », Les Artistes modernes, n°17, 1882 ?, p.132-135


TARDIEU Alexandre, “Salon de 1859” dans Le Constitutionnel, 44e année, n°125, 5 mai 1859


SANCHEZ Pierre, Dictionnaire de l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs, Dijon, L’échelle de 133 Jacob, 2010, Tome I, p. 34


STRZALKOWSKI Clémentine, Femmes copistes et commande publique (1848-1914). Des artistes professionnelles au service de l’État, Mémoire de 1ère année de deuxième cycle, sous la direction d’Isabelle Morin Loutrel, Paris, Ecole du Louvre, 2019.



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