Artiste, copiste, enseignante
Née Marie-Elisabeth Blavot (fig. 1), fille de rentiers, à Paris en 1809 (ou 1806 ou 1810, selon certains auteurs), elle est parente du général Leclerc, le premier mari de Pauline Bonaparte. En 1831, elle épouse le peintre Clément Boulanger (1805-1842), un élève d’Ingres, qui l’initie à la peinture de genre. Elle fréquente les ateliers d’artistes, où elle était connue sous le nom de Marie Morchablon, et se forme à la peinture et à l’aquarelle auprès de Camille Roqueplan (1802-1855). Mme Boulanger embrasse parallèlement une carrière d’enseignante. A partir de 1836, pour vivre, elle donne en effet des cours de dessin et de peinture chez Mme Chevreau-Lemercier, directrice d’un cours de jeunes filles, 6 rue de Valois-Rivoli. En 1833, lors d’un bal costumé chez Alexandre Dumas, elle rencontre Eugène Delacroix qui s’éprend d’elle et devient son amant pendant quelques temps. En 1844, ce dernier lui aurait offert une copie de son œuvre Hamlet et Horatio au cimetière (1839).
Après la mort de Clément Boulanger, elle se remarie, en 1842, avec François-Edmond Cavé (1794-1852), directeur de la division des Beaux-Arts au ministère de l’Intérieur. Cette même année, elle reçoit la commande d’une copie de La Sainte Vierge et l'Enfant Jésus d'après Giovanni Batista Salvi dit Sassoferrato. Cette œuvre est aujourd’hui en dépôt à la mairie de Saint-Privat. En 1850, l’État lui commande une autre copie : la Famille du peintre d’après Rubens pour 3000 francs, ce qui est une somme considérable au regard des autres femmes copistes de son époque, qui reçoivent en moyenne 500 à 800 francs pour la réalisation d’une copie, ou de certaines commandes de tableaux à des artistes, femmes et hommes confondus.
Marie-Elisabeth Cavé au Salon
Mme Cavé (tableau 1) est admise pour la première fois au Salon en 1835 avec deux aquarelles, l’une représentant un bouquet de roses, l’autre des fleurs. A partir du Salon de 1845 jusqu’en 1855, elle s’empare de sujets historiques anecdotiques, très en vogue à l’époque, tels la Convalescence de Louis XIII (1847 et 1855) ou encore Un tournoi d’enfants : Louis XIII et Gaston d’Orléans (1855). Certaines de ses œuvres sont aujourd’hui conservées au musée du Louvre. Parmi elles, deux dessins, Louis XIII vainqueur du tournoi au Louvre (fig. 2) et La bataille d’Ivry, pour laquelle elle obtient en 1839 une médaille de 2e classe après en avoir obtenue une de 3e classe en 1836. Elle est accueillie favorablement par la critique de son temps. Théophile Thoré, dans son Salon de 1847, lui consacre quelques lignes élogieuses :
« Mme Elisabeth Cavé a de la grâce, de la délicatesse, de l’esprit, dans ses deux tableaux d’Enfants. Sa touche est légère et sa couleur lumineuse : elle aime les belles étoffes chatoyantes et les ajustements coquets, et le luxe des parures des anciennes cours. Paul Véronèse et Watteau doivent être ses peintres d’affection. Sa nichée d’enfants singeant un Tournoi, a de la gaieté et de la naïveté. Le pendant, intitulé : Convalescence de Louis XIII, est aussi un prétexte à petits personnages, franchement pomponnés, qui entourent le roi » (1).
Ses aquarelles font également l’objet d’une critique et sont qualifiées de « vigoureuses, hautes en couleurs et d’une énergie toute masculine » (2).
A cette époque, en général, lorsqu’une femme faisait une œuvre excellente, des critères considérés comme masculins (la force, l’énergie, la virilité, etc.) pouvaient être attribués à une femme artiste.
Ses écrits et sa méthode d’apprentissage du dessin
En 1850, Marie-Elisabeth Cavé décide d’ouvrir un cours de dessin, 101 avenue des Champs-Elysées à Paris (3). Elle y enseigne selon une méthode qu’elle a elle-même élaborée et publiée sous la forme d’un ouvrage : Le dessin sans maître. Méthode pour apprendre à dessiner de mémoire, dit la Méthode Cavé (fig. 3). Cette méthode d’apprentissage du dessin est approuvée par de grandes figures telles Ingres, Vernet ou encore Delacroix qui publie à ce sujet un compte-rendu très élogieux dans La Revue des Deux mondes (ici). Pour permettre à ses élèves d’avoir « l’œil juste », elle souhaite leur apprendre à dessiner de mémoire (d’abord à l’aide d’un calque), d’où découle, selon elle, l’originalité des grands maîtres : « le modèle sera d’abord calqué, puis copié, puis reproduit de mémoire » dit-elle. Une illustration de sa méthode est proposée dès le début de son ouvrage (fig. 4) (pour en savoir plus sur les étapes de la méthode). C’est, selon elle, le « vrai procédé pour inventer ». Sa méthode connaît un franc succès puisque le ministère de l'Instruction publique décide de l’appliquer pour un essai dans « les écoles normales primaires des Académies de Caen et de Douai » en 1862, et, plus tard la même année, à celle de Chartres, suite aux bons résultats obtenus pour les écoles communales de Paris.
En 1856, elle publie un autre ouvrage pour compléter le premier : L'Aquarelle sans maître, méthode pour apprendre l'harmonie des couleurs (2e partie du Dessin sans maître), puis en 1863, La Couleur, dans lequel on retrouve un rapport d’Eugène Delacroix, des conseils, des réflexions sur l’art, la place des grands maîtres et des antiques et de leur étude dans la pratique artistique des jeunes filles qui veulent apprendre à dessiner.
Avant sa mort, en 1883 à Neuilly-sur-Seine, Mme Cavé publie d’autres ouvrages centrés sur la question féminine et la religion tels que La Religion dans le monde, conseils à ma filleule en 1862, La Femme aujourd'hui, la femme autrefois, la Beauté physique de la femme, et La Vierge Marie et la femme en 1875.
Aleksandra Kovacevic
Notes
(1) THORE Théophile, Le Salon de 1847, précédé d’une lettre a Firmin Barrion, Paris, Alliance des arts, rue Montmartre, 178, 1847, p. 149.
(2) ABOUT Edmond, « D’un bon jeune homme »,dans Dernière lettres d’un bon jeune homme à sa cousine Madeleine, Paris, Michel Levy Frères, Libraires éditeurs, 1863, p.143.
(3) Anonyme, "Le Dessin sans maître, dans Le Constitutionnel, n°335, 1er décembre 1850, n.p.
Sources et bibliographie
ABOUT Edmond, « D’un bon jeune homme »,dans Dernières lettres d’un bon jeune homme à sa cousine Madeleine, Paris, Michel Levy Frères, Libraires éditeurs, 1863, p.143
ANGRAND, Pierre,, Marie-Élizabeth Cavé : disciple de Delacroix, Paris, Lausanne, Bibliothèque des arts, 1966.
Anonyme, "Le Dessin sans maître, dans Le Constitutionnel, n°335, 1er décembre 1850, n.p.
BELIER DE LA CHAVIGNERIE, Emile, Dictionnaire générale des artistes de l'école française, 1882, p. 212.
DACIER Emile, La Revue de l’art ancien et moderne, Paris, 31 rue Jean Goujon, janvier-mai 1930.
THORE Théophile, Le Salon de 1847, précédé d’une lettre a Firmin Barrion, Paris, Alliance des arts, rue Montmartre, 178, 1847, p. 149.
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